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S'occuper de la question de la liberté académique, oui !
Mais ce n'est pas suffisant !

 

Le 9 avril 2021

Jules Lamarre, Ph. D.
Économiste et géographe

 

Personnellement, je suis très heureux d'apprendre qu'un comité des sages vient d'être créé au Québec pour se pencher sur la question de la liberté académique. Enfin ! Mais une fois le comité créé, il ressemble déjà à un couvercle à mettre sur la marmite.

La composition du comité

Il y a d'abord la composition du comité qui fait problème. Pour le moment, le comité est composé de trois professeur-e-s et il est présidé par un vice-recteur. Ne manquerait plus qu'un-e étudiant-e à choisir pour que le comité puisse se mettre au travail. Fort bien. Mais messieurs-dames du comité, qu'en est-il du choix d'un-e ou de plusieurs chargé-e-s de cours pour faire partie du comité ?

Premièrement, permettez-moi de vous rappeler qu'au Québec 60% des gens qui enseignent dans nos universités sont des personnes chargées de cours. Elles y dispensent la majorité des cours. Pour que le comité soit vraiment représentatif de la réalité de l'enseignement universitaire québécois, il faudrait sans doute y adjoindre trois, voire quatre chargé-e-s de cours. Mais j'entends déjà les « vrais » professeurs rouspéter du haut de leurs prérogatives.

Deuxièmement, si la question de la liberté académique se pose, c'est parce que les chargé-e-s, ils et elles n'en disposent pas de la liberté académique. Et c'est la raison pour laquelle les chargé-e-s se retrouvent à la merci de leur étudiant-e-s, comme cela vient d'arriver à Madame Lieutenant-Duval, chargée de cours à l'Université d'Ottawa. Son recteur l'a suspendue pour des propos qu'elle aurait tenus en classe. De là l'importance d'inclure des chargé-e-s dans le comité des sages.

Par ailleurs, il y a le professeur Attaran de la même université qui, lui, peut tenir sur la place publique des propos que même les Premiers ministre Legault et Trudeau peuvent dénoncer vertement sans qu'il ne soit suspendu par le recteur de l'Université d'Ottawa. Vive la liberté académique dont jouissent les « vrais » profs !

J'ai été chargé de cours durant 20 ans dans cinq universités québécoises. Et mon coeur s'est arrêté de battre à chaque fois que mon patron de l'UQAR (il est le seul à l'avoir fait) me convoquait pour me dire : « Mon p'tit Jules, il paraît qu'en classe tu aurais dit ceci et cela... » Évidemment, je m'empressais de remettre mes propos en perspective afin de nous éviter, à moi et aux miens, de nous retrouver à la rue comme des poubelles. Et je remercie mon patron de ne jamais m'avoir « dénoncé » à un doyen ou bien à un recteur chargé du maintien de l'ordre, soit celui des « vrais » professeur-e-s, pour qui les chargé-e-s ne comptent pas du tout. Croyez-moi...

Les étudiant-e-s sont terrorisé-e-s

Les étudiant-e-s, il faudrait les soutenir davantage. Depuis longtemps déjà ils et elles sont devenu-e-s des micro--entrepreneur-e-s qui vont à l'université pour se procurer des compétences en vue d'accroître un capital humain grâce auquel compétitionner sauvagement entre elles et eux pour l'obtention des quelques bons emplois qui restent depuis que la grande majorité de ceux-ci sont rendus en Asie. Et la très grande majorité des étudiant-e-s échouera « naturellement » à ce jeu de massacre. Et de cela elle en est bien consciente. Mais il s'agit du seul jeu qu'il leur reste.

Et tant qu'à y être, on rendra les étudiant-e-s responsables de leur échec prévisible. Ils et elles n'auront pas choisi les « bonnes » compétences à l'université, leur dira-t-on, une fois à la rue. Pour sa part, Joseph Stiglitz explique à ses étudiant-e-s que pour réussier dans la vie d'aujourd'hui, il importe au préalable d'avoir bien choisi ses parents avant de naître. Bourdieu disait sensiblement la même chose à ses propres étudiant-e-s en 1980. En d'autres termes, si les gouvernements de comptables agréés que l'on se donne ne veulenet plus faire prévaloir la justice sociale, c'est alors la saine compétition garante de la nouvelle croissance par endettement de la majorité qui prévaudra. Et les super-riches ne s'en plaindront pas.

Lorsque j'enseignais dans des universités, j'ai toujours voulu, comme le souhaite à juste titre Madame la ministre McCann, que nos universités forment « des étudiant-e-s à l'esprit critique très fort et au jugement éclairé », et cela, toujours à mes risques et périls. Aujourd'hui, la chose est d'autant plus difficile à réaliser que depuis longtemps on ne transmet plus de savoirs aux étudiant-e-s, ces gens dont c'est à présent la responsabilié de les trouver en eux-mêmes et par eux-mêmes au cours de processus d'apprentissage mystérieux. Terrorisé-e-s, les étudiant-e-s sont contraint-e-s d'avancer à tâtons dans le brouillard et prêt-e-s à mordre quiconque leur « parle en langue » de choses apparemment inutiles à leur survie immédiate. À leur place, moi-aussi je mordrais très fort.

Bref, je ne vois pas en quoi le comité qui vient d'être formé puisse aider les étudiant-e-s à comprendre ce qu'il leur arrive. Parce que les chargé-e-s qu'ils mordent ne sont que des messagers jetables. Oui, les étudiant-e-s doivent mordre, mais d'abord et avant tout les gouvernements de comptables. Il faut les renverser aux élections, là où c'est possible, en veillant à ne pas les remplacer par d'autres comptables. Et il est là en entier le problème des étudiant-e-s. Il faut aussi que les universités cessent d'envoyer au front des chargé-e-s qui se retrouveront fatalement sous les dents des étudiant-e-s qui n'ont que ceux-là à mordre... Les étudiant-e-s doivent continuer de mordre, mais les bonnes personnes...